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À vouloir jouer le Torquemada, toutes mesures gardées, et faire du fait religieux, de ces pratiques, de ces us et coutumes, de ces visions dogmatiques du monde et de la vie. Vouloir à partir de règles établies une fois pour toutes il y plusieurs dizaines de siècles, fonder des modes de compréhensions et de gestions des divers problèmes de la société d’aujourd’hui. C’est prendre le risque de voir tout un pan de la société laïque tolérante retourner aux fondamentaux de l’athéisme pur et dur.
Je pratique personnellement cette laïcité tolérante au quotidien. Si je croise de temps à autre au pied de mon immeuble, l’une de ces personnes qui bourre le crâne de leurs enfants de leurs dogmes archaïques. Qui ne laisse à leurs femmes d’autres choix que de suivre des préceptes les privant de leur liberté individuelle. Je dis quand même : “bonjour”. Même si au fond de moi j’ai très envie de le prendre par les pieds pour le secouer. Allé décoller la pulpe de ses neurones endormis pour réactiver les connexions de la réflexion embrumée par les vapeurs de l’encens, les discours abrutissants des représentants de la foi. Je ne le fais pas. Si l’individu semble vouloir engager une conversation, j’essaye, en parlant de mon exemple personnel, de l’amener sur le terrain de ses contradictions. Je lui parle de mes enfants à qui je n’ai imposé aucun choix dans ce domaine. Leur racontant les religions à travers l’histoire, la science, mais aussi la spiritualité. Leur laissant toujours l’option de prendre la voie qui leurs conviendra. Conversant sur le cas de ma compagne, en réalité je dis “ma femme” car le concept d’union libre est rarement reconnu par les pratiquants de toutes confessions. Mon amie donc, a pris le parti de vivre avec moi et de rester même après la passion. “Pompiers volontaires, secouristes à la Croix-Rouge, indépendante dans son travail, indépendante financièrement, indépendante dans sa façon de s’habiller, dans le choix de ses amis,etc…”. Elle s’accomplit en tant qu’individu au sein de la collectivité avec ses qualités et ses défauts. Et si moi je suis si bien avec elle, c’est parce qu’elle me laisse aussi décider de mes choix. J’ai le faible espoir que parfois, ces rares conversations déclenchent un début de réflexion chez ces personnes tout en ayant conscience qu’elles sont surtout de beaux dialogues de sourds.
Pour en revenir à l’introduction de cet article, il faut aussi parler du livre religieusement correct que Sarkozy a édité en 2004. La sortie de “La république, les religions, l’espérance” (éditions du cerf) symbolisait déjà sa vision de la “rupture”. Dans les librairies à la veille du centenaire de la loi de séparation de l’église et de l’état, il nous indiquait qu’elle serait la civilisation façon Sarkozy. À travers ce livre et au travers ses discours devant les religieux à la mosquée de France, devant les évêques, où les représentants de la foi judaïque, on pouvait deviner les intentions de l’homme. Il se préparait déjà à remplacer les éducateurs, assistantes sociales et autres associations à caractère social présentes dans les banlieues dites difficiles, par des prêtres, des imams, des rabbins ou pourquoi pas des scientologues.
Bien sûr on ne peut négliger que certaines personnes aient besoin pour leur équilibre d’être encadrées par des règles autres que celles de la loi que sont les dogmes de la foi. Mais faut-il pour autant leur laisser le champ libre ? Il faut prendre en compte que ces représentants de la foi intervenant dans ces lieux où l’on croise une grande détresse sociale, sont souvent dans une démarche d’application stricte de leurs doctrines. Celles-ci, imposées par leurs confessions, distillent une image dégradée des relations entre hommes et femmes, imposent une vision rétrograde du monde aux personnes facilement influençables. Si le prix estimé par Sarkozy, de la paix sociale est celui de la soumission des femmes, du lavage des cerveaux des enfants, de l’abrutissement de la réflexion des êtres humains , c’est un coût soit trop élevé, soit mésestimé.
Trop élevé, car si les racines de la France sont en partie chrétiennes, elles sont aussi et surtout républicaines. Des femmes et des hommes se sont battus et son mort pour obtenir le droit à la liberté d’expression, le droit à la liberté de choix, le droit à la liberté de croire ou de ne pas croire. Revenir donc sur ces sacrifices utiles pour la démocratie, pour la vie en communauté dans le respect de chacun, dénie totalement les valeurs fondant la spécificité de la république française.
Mésestimé, car si à court terme la paix sociale peut s’installer. Ce qui est très discutable car dépendant avant tout de la lutte contre la misère financière et culturelle dont souffre une partie du territoire français. A plus ou moins long terme cela s’avère un pari dangereux. Qui peut prédire ce qui se passera entre les différentes communautés qui placeront les règles de leurs fois au-dessus des règles de la loi ? Qui peut prédire ce qui se passera entre ces communautés et l’état lorsque celles-ci assez fortes, pourront peser sur les décisions politiques ? Qui peut prédire alors la réaction des athées laïques et tolérants face à la mainmise sur le pouvoir temporel par ceux-là mêmes que leurs grands-parents et arrière-grands-parents ont chassé ? Rappelons qu’après la révolution de 1789 les Français ont « bouffé du curé ». On peut regretter les actes de violence alors commis. Mais on ne peut oublier les raisons qui ont poussé ce peuple en pleine ébullition à agir de la sorte. Après des siècles de collusion entre les serviteurs de l’église et ceux du pouvoir en place, il est des actes que l’on peut difficilement juger si l’on ne les a pas vécus.
Avant l’élection de Nicolas Sarkozy, la laïcité que certains pouvaient dénigrer, maintenait un fragile équilibre. Si fragile qu’à plusieurs reprises il s’en est fallu de peu qu’il bascule, comme avec l’affaire des foulards. Affaire qui aurait du appeler à un renforcement du discours politique sur l’application de la loi de 1905, sans avoir besoin d’y rajouter un amendement. La loi de séparation de l’église et de l’état avait même la faveur de l’Église de France qui voyait en elle le fait de pouvoir continuer à enseigner leur foi, quoi que l’on en pense. Hormis les intégristes regrettant la douce époque où il pouvait à loisir exercer leur pouvoir sur le peuple soumis, les hommes de foi prônant la tolérance y trouvaient leur compte.
Personnellement étant un homme de peu de foi mais respectueux des choix de chacun, dans la condition où ces choix sont faits en connaissance de cause, je me retrouvais entièrement dans cette loi. Mais depuis peu j’en viens à me demander quel doit être mon attitude face à un discours politique qui nous ramène à des heures sombres. Si les règles du jeu changent, quel devra être mon comportement? N’étant pas particulièrement adepte de la violence, ce changement se fera, se fait déjà au quotidien comme par exemple avec cet article. N’étant pas non plus adepte de l’autre joue tendue, si les fondements de la république étaient mise en danger par les actes et intentions de religieux, découlant de la “fumeuse politique de civilisation”, alors…
Comme tout homme cherchant l’équilibre et la vie en bonne intelligence dans notre société, je ne peux qu’espérer que Sarkozy et son gouvernement feront ce qui est juste. Cela ne semble pas être le cas. Vouloir régler les problèmes en dressant les Français les uns contre les autres, “religieux contre athées, jeunes contre vieux, chômeurs contre smicards, fonctionnaires contre employés du privé, communauté contre communauté, français d’origine étrangère contre français de souche (ce sont toujours des Français)”, c’est jouer dangereusement au risque de faire imploser notre société. C’est un jeu qui peut aussi se retourner contre celui qui en impose les règles.
Ce qui est juste selon les préceptes d’une république sociale, c’est l’accession à un minimum de dignité aux personnes les plus en difficulté, les plus fragiles. Cela à un coût, et plus le temps passe plus ce coût est élevé. Après tout pour le Crédit Lyonnais on a bien su trouver quelques millions d’euros prélevés sur les impôts pour le sauver. Qui sait ce qu’il en aurait été si ces sommes avaient été utilisées pour créer des emplois, construire de logements, ramener les fonctions régaliennes de l’état dans les territoires désertés que sont les banlieues et certaines parties de la campagne française plutôt que de vouloir y déléguer ses fonctions à l’obscurantisme.
En conclusion, je dirais que ma vision de la laïcité équilibrée est compromise par le discours et les actes d’un homme politique irresponsable qui conçoit la foi de façon apparemment très opportuniste, tout comme sa gestion d’une grande république. “Faites ce que je dis, pas ce que je fais”. Dans sa soif de pouvoir il se prête à tous les discours, aussi contradictoires soit-il. Devant les uns qu’il encense, il dénigre les autres. Devant les autres qu’il porte aux nues, il critique les uns.
Quoiqu’il en soit l’hostie ne pourra jamais remplacer un bon repas. Les lieux de culte ne pourront jamais remplacer un toit au-dessus de sa tête. Les “bonnes paroles” des religions ne pourront jamais remplacer une bonne éducation. Une prière, aussi fervente soit-elle, ne pourra jamais remplacer un bon accès aux soins. Une messe ne pourra jamais remplacer un accès à la culture. Un clocher ou un minaret ne pourront jamais remplacer l’accès à la démocratie.
Mais si par son attitude Sarkozy permet que la loi soit soumise à la peur de la foi…